ZOO

Lindingre plus Titine = Humour libre

Yan Lindingre, amoureux de l’humour et du bistrot, remets sa Titine sous le feu des projecteurs pour la Saint-Valentin. Dans Tout simplement femme, il combine picon, chômdu et bricole langagière pour brosser le quotidien d’un personnage féminin qui sait mettre des pains. Avec beaucoup d’amour pour son personnage, Yan Lindingre revient sur le monde qu’il a créé il y a déjà plus de 5 albums.

Une Martine destroy complètement libre

Comment est née Titine ?
Couverture d'un album Martine

Yan Lindingre : J’avais imaginé une espèce de team de prolos au chômdu, à la Affreux, sales et méchants. A l’époque, le rédac’ chef de Fluide Glacial m’a demandé de faire autre chose que mes « RMIstes » comme il les appelait. Alors j’ai fait absolument la même chose sauf que j’y ai inclus une parodie de Martine. C’était bien avant la mode des pastiches des couvertures de cette série, qu’on voit beaucoup aujourd’hui.

Je lui ai donc proposé « Martine au bistrot ». Elle était accompagnée, comme dans la vraie série, de son petit frère Jean et leur chien Patapouf. J’étais parti du constat que dans Martine, on ne voyait jamais les parents. Je me suis donc dit que les parents de Martine et Jean sont morts et que chacun a grandi en réalisant son rêve le plus fou : passer sa vie au bistrot. C’est une espèce de Martine destroy, à laquelle je rendais avant tout sa liberté, car j’avais souvenir que dans les Martine que je lisais gamin, Martine se retrouvait toujours à faire un gâteau, être maman, jouer à nettoyer la maison... alors que son frère arrêtait pas de faire le con !Titine, la femme au Picon-bière

Et comment a-t-elle changé de nom ?
Martine en tout simplicité

À l’époque, on dépendait de Casterman, qui détient les droits de Martine. Quand on a envoyé la série à l’impression, le rédac’ chef de Fluide Glacial a soumis par acquit de conscience les planches au PDG de Casterman qui dit « STOP ! ».

Comme ils vendent encore énormément cette collection, ils ne voulaient pas de mon pastiche ! Alors j’ai vite corrigé tous les noms : Martine est devenue Titine, Jean, Bouffy et Patapouf s’est appelé Minou.

Mais on peut voir un reliquat de Martine dans la coiffure de Titine, cette sorte de buisson ardent qui ressemble à sa queue de cheval.

Et pourquoi porte-elle un éternel jogging ?

Ce jogging fait partie de l’idée de vivre parfaitement à l’aise : elle se sent bien là-dedans et s’en fout complètement des codes. En fait, elle est une femme qui va droit au but, sans tabous ni minaudages : les fringues, elle s’en fout !

Et d’où vient ton amour du bistrot ?

De mon environnement personnel : j’ai eu d’autres vies avant d’être dessinateur où j’allais beaucoup plus au bistrot. J’ai trouvé dans cet univers prolo et oisif une poésie. Pas que je pense que les prolos sont moins cons ou plus méchants que les autres mais vu qu’ils n’ont pas le choix, ils inventent tout le temps des solutions. Les bourgeois m’intéressent pas car ils se conforment à des modèles : le premier pallier c’est d’acheter une BMW et des fringues calibrées, ensuite on acquiert un peu de peinture avec des golfeurs, etc. Cette reproduction ne m’intéresse pas...

Le bistrot des amis

Alors que chez les prolos Lumpen [de Lumpenproletariat : prolétariat en haillons en allemand, c’est à dire sous-prolétariat NDLR], il n’y a pas de modèles et un côté très direct. On va au Liddl parce que c’est moins cher puis quand on a un problème, on bricole. La bricole me plaît beaucoup, même dans le langage quand on fait comme on peut avec des mots glanés ici et là... J’adore aussi quand le problème à régler passe pas forcément par la case cerveau, pour gagner du temps !

La poésie du bricolage prolo

Dans ce dernier tome d’ailleurs, la prolo Titine côtoie pas mal le gratin…

Oui mais elle est toujours sollicitée. Avec ce genre de comédie burlesque, il est intéressant de mettre en relation des milieux très différents. Mais avant tout, Titine ne veut faire que ce qu’elle a envie, elle n’est pas dans une logique de progression : Born to be wild en quelque sorte. Là où je parle à travers elle, c’est qu’elle est anarchiste sans être intello : elle refuse toute routine consumériste et n'est soumise à personne !

Le gratin de Glandville

Elle est un peu comme les Hells Angels de Hunter Stockton Thompson : ce sont des insoumis mais aussi de gros barges qui te cassent la gueule au premier virage si ta tête leur revient pas. N’importe qui va chercher ça n’importe quand: quand on s’encanaille en allant au bar ou en se la racontant avec une moto. L’espace d’un instant, on devient idiot mais ça nous fait du bien de faire n’importe quoi.

Le Gratin de Glanville
Le langage de Titine et ses envolées est inspiré de…

Souvent elle bricole comme elle peut avec son langage brut, mais elle a aussi des fulgurances. Comme on le voit aussi dans les émissions de télé-réalité : ils ne parlent qu’au présent, ne connaissent pas le subjonctif mais tout d’un coup pouf, il y a une phrase un peu philosophique qui semble venir d’une chanson de Mylène Farmer. J’aime faire la même chose avec mes personnages, qu’ils aient ces petits moments décalés.

Comment écris-tu pour créer ce mélange ?

Les histoires naissent d’un dialogue que j’entends dans le train ou d’un titre qui me fait marrer et me donne des idées… Des fois une histoire met un quart d’heure à s’écrire, des fois des mois. Souvent j’en écris 3-4 en même temps et j’attends que ma vie les nourrisse.

Titine et le GHB

Je me nourris aussi de faits divers en me demandant ce qu’ils donneraient si on les regardait sous un angle plus burlesque, comme l’histoire de GHB où elle s’autohypnotise !


Et le gag de couverture : Titine tout simplement femme, d’où vient-il ?

J’avais envie d’un gag un peu maladroit pour la couverture. Parce que mine de rien, je l’aime ma Titine qui, d’ailleurs, me ressemble d’un certain côté. Par exemple quand on fait de l’humour et qu’on travaille dans une grande maison d’édition, on ne peut pas aller voir ses confrères éditeurs en leur tapant dans le dos en disant « collègue ! » : on traîne ce boulet de crétin de la bande. Comme Titine : on a beau être pas si con, on sera toujours vu pareil.

Avec cette couverture, je voulais me montrer comme essayant de faire une BD girly avec du Picon et des pains dans la gueule. Titine est féministe à mes yeux, car c’est toujours elle qui gagne : les mecs n’osent pas trop la ramener face à elle. C’est un discours féministe maladroit, mais sincère finalement !

Titine au pôle emploi

Je tiens aussi beaucoup à ce que quand Titine a l’air stupide, la personne en face le soit aussi : on n’est jamais du côté de la personne qui la juge comme une sotte. C’est l’école Villemin en quelque sorte : tous ses personnages étaient cons ! Avec la seule différence que chez moi, Titine s’en sort un peu mieux que les autres mais pas de beaucoup.

Un petit mot sur le bonus track ?

« Peut-on rire de tout ? » plus on le répète moins on peut le faire. Le dernier exemple en date, Eric et Ramzy qui se font tomber dessus parce qu’ils rigolent de Saint Nazaire, est complètement dingue ! Où va-t-on si les humoristes ne peuvent plus faire de l’humour ? On a le droit de se moquer et de s’avouer qu’on vit dans un patelin moche... Soyons un peu plus fous dans l’humour !

Extrait du Bonus Track
Haut de page

Commentez

1200 caractères restants